Il est assez particulier – et assez saisissant – de voir se côtoyer, ces jours-ci, les révélations troublantes de la Commission Charbonneau et la commémoration de la mort de René Lévesque, il y a 25 ans. Et c’est peut-être salutaire, aussi.
Il y avait au Québec – et il reste toujours, avec raison – une grande fierté devant le travail accompli par René Lévesque, tout au long de sa carrière, pour nettoyer les moeurs politiques du Québec. En tant que ministre des Travaux publics, au sein du gouvernement Lesage, il avait mis en place un système de soumissions publiques (ou d’appels d’offres, dirait-on aujourd’hui) pour rendre plus juste et transparente l’attribution des contrats donnés par le gouvernement. La réforme du financement des partis politiques, une des premières lois votées par le gouvernement du Parti québécois, lors de son premier mandat, était un progrès exceptionnel pour l’affirmation des droits des citoyens et la réduction des trafics d’influence.
Au Québec, nous avons été nombreux à avoir l’impression – et on dirait aujourd’hui, l’illusion – que ces questions étaient réglées. Que l’ère de la corruption duplessiste et du patronage était une chose du passé. Pas que tout était parfait, mais que le Québec était, de bien des façons, une société exemplaire.
L’héritage
En écoutant les travaux de la Commission d’enquête sur l’industrie de la corrup… pardon, de la construction, on pourrait avoir l’impression que tous ces efforts n’ont mené à rien. Mon confrère et ami Antoine Robitaille n’en disait pas moins, dans son article du Devoir de samedi dernier sur la commémoration de la mort du plus célèbre politicien québécois:
Vingt-cinq ans plus tard, alors que d’une commission à l’autre (Charbonneau après Gomery ou Moisan) on démontre des histoires de prête-noms, de contournements massifs de la loi, René Lévesque semble encore plus mort que jamais, moins présent par son héritage. Oeuvre spoliée, fissurée, malmenée par des générations d’êtres sans scrupules, au point où on se demande s’il ne faut pas tout reconstruire, tout réinventer.
L’impression d’éternel recommencement qui accompagne plusieurs années de révélations troublantes et franchement dégoûtantes sur les moeurs politiques québécoises aurait de quoi en décourager plus d’un. « Que voulez-vous? », est-on tenté de se dire. Où il y a de l’homme, il y a de l’hommerie.
Or, il me semble qu’il faut plutôt se féliciter que, comme Québécois, nous ayons encore en mémoire l’exemple d’un homme comme René Lévesque, un homme qui était avant tout un démocrate et un homme d’État, plutôt qu’un politicien. Un exemple d’intégrité et de service public dont on peut – et je dirais, dont on doit – s’inspirer. Comme le disait Martine Tremblay, ancienne chef de cabinet de René Lévesque, toujours dans l’article d’Antoine Robitaille: « il a fixé les standards lorsqu’il a été en position de le faire. Il doit demeurer une inspiration à cet égard. »
En ce sens, la question qui se pose à nous est bel et bien « que voulez-vous? ». Non pas de façon passive, avec un haussement d’épaules, mais bien de façon active, dans le sens d’une interrogation profonde sur les objectifs et les valeurs de notre société. C’est là que l’exemple de Lévesque prend toute son importance, car il se présente non pas comme un principe absolu, mais bien comme un possible. Les progrès accomplis grâce à son travail et aux efforts de tous ceux qui ont travaillé avec lui pour mener ces projets à bien étaient bien réels – et ils sont loin d’être perdus, malgré ce que l’aura de la Commission Charbonneau peut nous laisser croire.
La corruption, c’est clair, a infecté des pans de la vie politique québécoise et du fonctionnement du secteur public québécois. Elle n’a toutefois pas tout emporté sur son passage: des gens qui travaillent dans l’intérêt public, il y en a beaucoup, tant chez les élus que chez les fonctionnaires. Il y a des bases sur lesquelles il est possible de redresser la situation.
Les moyens d’y parvenir ne sont ni faciles, ni évidents. Le travail à accomplir pour ressortir ces trafics d’influence de la sphère publique – même si ce n’est que pour une génération, même si la suivante devra recommencer – est considérable. Il serait naïf de croire qu’une commission et quelques règlements gouvernementaux suffiront. Il faudra bien de la volonté et de la vigilance, tant chez les élus et les fonctionnaires que chez les citoyens. Et pour les citoyens, cela voudra dire faire plus que de frapper dans des casseroles, même si le geste est beau et symboliquement fort.