Comme beaucoup de monde – en tout cas, beaucoup de monde dans les médias – j’ai lu le coup de gueule de Stéphane Baillargeon à propos de la «madamisation» de nos médias, publié lundi matin dans Le Devoir. C’est probablement parce que c’est un coup de gueule que le texte perd en nuances, en dénonçant «l’institutionnalisation médiatique de la bourgeoise, de l’arriviste et de la faiseuse» et en parlant de tout ce qui se passe le jour, à la radio et à la télé québécoise, comme les symptômes d’une «maladie» (la madamisation) qui gagnerait graduellement toute la radio et la télé, au moment même où meurt de sa belle mort le vénérable magazine Madame (au Foyer).
Le texte est tellement perclu de condescendance (ne serait-ce que par le terme de madamisation), de raccourcis et de généralisations qu’il faudrait écrire un texte trois fois plus long pour venir à bout de faire les nuances et de contrer certaines attaques carrément injustes, qui jugent le tout d’un bloc, en ne faisant des reproches qu’à quelques parties. Sans compter le fait que le texte entend juger “les médias” en ne traitant essentiellement que de Radio-Canada (avec un petite remarque en passant sur TVA et les magazines féminins). Il faudrait porter un regard un peu plus large sur la question avant de déclarer l’amincissement général des contenus.
Le problème de cette chronique est-il avant tout une question de forme et de ton, comme l’écrit Patrick Lagacé sur son blogue? C’est une partie du problème, oui, mais ce n’est pas tout. C’est aussi une question de vision du monde.
Ce n’est pas que Stéphane Baillargeon ait tort sur toute la ligne. C’est vrai que nos médias ont des moments très, très soft, que des préoccupations un peu raréfiées prennent parfois une place excessive dans des cadres qui se veulent généralistes. C’est vrai qu’on soupire parfois en entendant Christiane Charette s’étonner en direct, devant Laure Waridel, en “apprenant” que les pommes du supermarché ne viennent pas toutes du Québec ou encore interrompre Gilbert Lavoie, chroniqueur politique émérite du Soleil, pour lui demander des nouvelles de cette chère “Michou”, la douce moitié du premier ministre, au moment où il cherche à expliquer les débats de fond ayant lieu à l’Assemblée nationale. C’est vrai que sa légèreté est parfois insoutenable, malgré le travail évident d’une solide équipe de recherchistes (et de réalisation) qui met passablement d’os et de viande dans l’émission, nonobstant les limites de l’animatrice.
Mais les moments les plus légers de Christiane Charette (elle en a de bons, aussi) et deux émissions télé du matin de Radio-Canada et TVA, même si on les additionne, ça ne représente pas “les médias”. Et surtout, ça ne représente pas une tendance lourde et inexorable vers un accroissement de la bêtise et de la vacuité des médias, par rapport à – comme le laisse entendre implicitement l’idée d’un processus de “madamisation/matantisation” – un passé meilleur et plus substantiel où on parlait, j’imagine, des “vraies affaires”. Vous savez, ces “vraies affaires” dont on devrait toujours parler mais dont on ne parle pourtant jamais?
C’est clair, le monde s’en va sur la bum. La télé n’est plus ce qu’elle était – et toute notre société avec.
Voyons donc.
Quand j’étais jeune, l’émission de fin d’après-midi de TVA, c’était Les Tannants. Jeune ado, j’écoutais aussi parfois La fine cuisine d’Henri Bernard, où je me rappelle entre autres d’avoir appris à faire un gâteau Forêt Noire fort potable. Le matin, quand j’étais malade, je désespérais un peu des émissions de – j’ose à peine le dire – de madames qui occupaient les matinées, avec des conseils pour la maison, la consommation, la cuisine, la décoration, etc. Oh, et je lance un titre, comme ça: Garden Party. Et encore un autre: Parle parle, jase jase. Et tant qu’à y être, se souvient-on qu’Appelez-moi Lise comprenait le concours du plus bel homme au Canada?
Alors, vous pensez toujours qu’elle se madamise, la télévision – et en particulier, la télévision de jour? Et si oui, par rapport à quoi? Ce n’est pas comme si la télé – et la radio – de jour ont toujours été un rendez-vous de journalisme d’enquête et de débats publics profonds et réfléchis. Il y a bien eu Indicatif Présent – et surtout l’Indicatif présent des dernières années -, mais si on s’en rappelle autant, c’est justement parce que c’était exceptionnel. Ce n’est pas linéaire, tout ça.
Cette vision des choses qui rempirent sans cesse n’est pas exclusive aux propos sur la télé, bien entendu. On la voit quand on parle d’éducation (les étudiants sont mal formés, dit-on, en oubliant qu’à l’époque du cours classique, on en formait tellement peu) de littérature (les gens ne lisent plus – mais lisaient-ils tant que ça il y a cinquante ans?), de sport (le hockey d’aujourd’hui est trop dilué, dit-on en pensant à l’époque glorieuse des Glorieux, en oubliant des équipes poches comme les Golden Seals ou les Barons de Cleveland, dans les années où la coupe aboutissait constamment à Montréal), la criminalité violente (en baisse depuis belle lurette, alors qu’on en parle, surtout si on est Conservateur, comme si elle était en hausse constante), etc. Un peu de perspective, de grâce.
Encore une fois, ce n’est pas linéaire, tout ça. Les insatisfactions du présent ne sont pas l’aboutissement d’un mouvement de déchéance, l’étiolement progressif d’un passé glorieux. Il ne faut pas tout confondre.
3 Comments
Bon billet. Je ne sais pas quelle mouche a piqué Baillargeon, mais quelle condescendance et quel mépris dans ce text! Comme si tout ce qui n’intéresse pas l’élite intellectuelle et qui intéresse le petit peuple était sans valeur.
Désolant.
Il s’est emporté, ça c’est clair, mais en fait, il s’en prend aussi à la “bourgeoisie” parce qu’elle inspirerait des chroniques sur les iPad et les voyages en Europe, aux dépens de thèmes qui intéresseraient plus le “vulgus pecum” (le terme est de lui). Quoi qu’il en soit, il y a moyen de moyenner, comme on dit.
Excellent billet. Perspective rafraichissante à travers toutes ces généralisations pénibles.
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