Ce n’est pas une résolution, simplement un voeu. Un espoir.
Ce que j’aimerais le plus entendre, en 2011, c’est plus de nuances dans le discours. On en trouve toujours, ici et là, mais il n’y en a jamais trop. Particulièrement en ce qui concerne la politique.
L’année 2010, au Québec, aura été particulièrement lourde, de ce côté. Il y avait de quoi colérer, il faut bien le dire, en voyant sortir révélations sur révélations, dans le domaine de l’éthique et des moeurs politiques. Au gouvernement du Québec, des histoires de garderies qui ont emporté le ministre Tony Tomassi aux questions de financement et de prête-noms en passant par la commission Bellemare et les scandales entourant l’octroi de contrats publics, le monde du génie et de la construction, on a l’impression de se trouver devant les écuries d’Augias, dont le nettoyage serait une tache herculéenne. Et on ne parle même pas de politique municipale, où les dossiers s’épaississent constamment – et ce n’est pas fini, d’après ce que j’entends.
Que la classe politique ait à faire un examen de conscience, pas de doute là-dessus. L’état des choses est décourageant et le fait que le premier ministre Charest ait cherché plus souvent à minimiser qu’à montrer que les questions éthiques sont prises au sérieux n’a rien arrangé. Il faudra de grands chantiers pour redresser la situation, tant au plan des actions que des perceptions.
Mais il ne faut pas pour autant tout peindre en noir et jeter le bébé avec l’eau du bain. Prenez par exemple le fameux article de Maclean’s, avec sa couverture proclamant que le Québec est la province la plus corrompue au Canada. Y a-t-il des problèmes récurrents de corruption politique, au Québec? Oui, certainement. Qu’on regarde la situation actuelle ou qu’on retourne voir au temps de Lomer Gouin, comme l’a fait Antoine Robitaille dans les pages du Devoir, on ne peut pas nier que le travail d’assainissement des moeurs publiques – comme celui effectué par René Lévesque, un des politiciens les plus exemplaires à ce chapitre, et pas seulement à l’échelle du Québec – prenne des airs d’éternel recommencement. Sauf que quand on dit “vous êtes les pires de tous”, plutôt que “vous avez un sérieux problème”, et que la méthodologie est inexistante et les nuances absentes, on perd tout l’effet escompté et on tourne le débat autour du Québec-bashing, plutôt que de la corruption.
Le problème est le même quand on se met à dire que les politiciens “sont tous comme ça”, et que rien de bon ne peut sortir de la politique et des gouvernements.
Voyons donc.
S’il y a des politiciens qui passent trop facilement du compromis à la compromission, il y a aussi beaucoup de monde, en politique, qui y vont dans le but de servir leurs concitoyens. Et des ministres qui prennent des décisions en fonction de l’intérêt public – et l’intérêt public, faut-il le rappeler, ce n’est pas toujours l’option la plus populaire ou la plus régulièrement entendue.
Le gouvernement Charest, celui-là même qui a perdu la confiance des Québécois pour des raisons d’éthique, reste celui qui a remis de l’ordre dans le soutien aux familles, avec une restructuration du financement et la mise en oeuvre de l’assurance-parentale (pensée sous un gouvernement péquiste) qui ont fortement encouragé la reprise de la natalité au Québec. Scandales ou pas, le fait reste. Et c’est l’intérêt public qui y a gagné.
De la même façon que le maire Régis Labeaume, à Québec, ne fait pas que des bons coups, même s’il a l’approbation quasi-totale des citoyens, le gouvernement Charest n’en fait pas que des mauvais, parce que les citoyens en sont très insatisfaits. J’utilise ces exemples parce qu’ils sont actuels, mais la logique s’applique à toutes les administrations. Tous les gouvernements font des bons coups et des moins bons.
Et l’espace public reste le seul où l’intérêt général peut vraiment primer – même si ce n’est malheureusement pas toujours le cas.
Sauf qu’il est bien difficile de faire ces nuances dans un climat qui favorise les expériences collectives fortes et intenses, émotives plutôt qu’intellectuelles. Comme l’écrit David Brooks, chroniqueur au New York Times, à propos d’un ouvrage philosophique signé par deux universitaires américains, notre culture est axée sur l’extase collective, pas sur la recherche des nuances. Nous cherchons une sorte d’élévation, d’emportement, le “whooshing up”, comme une vague qui nous traverse et nous enveloppe:
Our most vibrant institutions are collective, not individual or religious. They are there to create that group whoosh: the sports stadium, the concert hall, the political rally, the theater, the museum and the gourmet restaurant. Even church is often more about the ecstatic whoosh than the theology.
Cette «culture d’aréna», comme il intitule sa chronique, recherche et valorise l’emportement, le “trip” collectif, l’adhérence totale au phénomène du moment – qu’il s’agisse de Régis Labeaume, de Jaroslav Halak ou d’Arcade Fire. Peut-on espérer trouver des jugements équilibrés et nuancés dans un tel contexte? Mettons que ce n’est pas simple.
Barack Obama ne décevrait pas tant s’il n’avait pas été autant érigé en messie. Mais il n’aurait probablement pas été élu s’il n’avait pas créé ces emportements collectifs de la culture d’aréna. Il est difficile de motiver les troupes à coups de subtilités.