J’ai bien souri – et réfléchi – en lisant la chronique de Wajdi Mouawad, dans Le Devoir de mercredi dernier. Ça s’appelle Les estis d’intellectuels et ça tire magnifiquement partout, avec l’intensité secouante que Wajdi démontre dans à peu près tout ce qu’il fait. «La culture est le mot qui permet de ne pas dire le mot «art» », lance-t-il ici. «Cadenassé par les ententes syndicales signées entre chaque corps de métiers, le théâtre au Québec est passé, en 20 ans, de l’art de créer avec peu à celui d’administrer avec encore moins», ajoute-t-il un peu plus loin.
Wajdi Mouawad se fâche vite et s’exprime fort. C’est ce qui fait la force incontestable de ses pièces – je me rappelle encore de la claque en pleine face que je me suis pris en voyant Littoral et Willy Protagoras enfermé dans les toilettes, il y a de nombreuses années – et la force et la faiblesse de ses interventions publiques. Parce que c’est excessif et en même temps très juste. Même si une partie de nous dit “voyons, Wajdi, calme-toi, t’exagères”, l’autre partie se fait joyeusement pincer la corde sensible.
Si on veut lui dire qu’on n’est pas d’accord, si on veut faire les nuances, il faut prendre le temps d’y réfléchir.
Comme quand il parle du livre, dans sa chronique, et qu’il nous convie à mettre le gun sur la tempe de notre libraire, en lui demandant:
Il est où, le criss de livre, le seul, l’unique, qui va agir sur moi comme l’eau bouillante agit sur l’esti de poche de thé pour en révéler toutes les saveurs? Il est où le livre qui va m’ébouillanter et libérer de moi les parfums que je ne parviens pas à libérer par moi-même? Il est où?
La manoeuvre est risquée, Wajdi. Quand on met le gun sur la tempe de quelqu’un, il y a de fortes chances qu’il réponde n’importe quoi. N’empêche, on comprend ce que tu veux dire. Que la lecture, ce n’est pas l’art de lire n’importe quoi, ni d’en lire le plus possible. C’est l’art de lire vrai:
Échapper à la dictature du bruit. La dictature du «tout avoir lu» creuse nos tombes, achat après achat. Lire ne signifie pas: lire tout. Il est possible de ne lire, toute sa vie durant, qu’un seul livre. Mais alors on le lit!
C’est vrai que c’est agaçant, le il-faut-que-tu-lises-ça. Non. Pantoute. Il faut pas. Des bouquins, j’en ai refermé des paquets bien avant la fin, pas tenté une miette de me les taper parce qu’il le faut. Comme le disait Daniel Pennac il y a presque vingt ans, le premier droit du lecteur est de ne pas lire.
Sauf que.
Sauf que la lecture libre, le droit de ne pas lire, ça se vit bien dans une situation d’abondance. Il faut qu’il y en ait, des livres dans les rayons, pour qu’on ait la chance de trouver le sien, «le seul, l’unique». Et donc toute la machine de l’édition, le monde du livre au grand complet, avec ses qualités et ses défauts, sa roue qui tourne, ses salons et ses prix, son obligation de remplir un “programme éditorial”, de publier un certain nombre de livres par année, pour nourrir sa machine, pour remplir ses obligations, percevoir ses subventions…
C’est vrai que c’est agaçant, par moments. C’est vrai que beaucoup de livres se publient un peu mollement (“ça me prend six titres québécois… bon, correct, je vais publier celui-là…”). Mais le livre – pardon, LE livre – finit par trouver son chemin. Je suis d’un naturel confiant. Je crois que même sous la dictature du bruit, la note pure résonne et se fait entendre.
Ainsi, je ne m’inquiète pas tout à fait autant que Foglia, quant à l’avenir de la littérature, avec l’avènement du livre électronique.
Foglia, dangereusement en forme, ces temps-ci (voir ses chroniques sur la go-gauche et sur les gaz de schiste) se demande, iPad à la main, si le livre électronique ne se retrouve pas obligatoirement dans un Wal-Mart, alors que la littérature est affaire de libraire, de parcours personnel.
Ce n’est pas une question de support, insiste-t-il avec raison:
Vous attendez que je vous dise que je préfère le papier? La question du support est très secondaire.
Prenons la nouvelle qui, dans le livre de Suzanne Jacob, a pour titre J’ai tué pourquoi. Le début: «Papa nous a parlé. Nous attendons sa nouvelle femme. Elle va arriver à midi aujourd’hui. Je suis énervée et j’énerve ma soeur Colette. C’est la quatrième nouvelle femme que papa nous amène et qu’on essaie depuis que nous vivons séparés dans deux maisons. Ça sonne enfin…»
Rendu là, qu’est-ce que ça peut bien foutre que ce soit sur papier, sur votre iPad ou encore imprimé en caractères chinois sur un rouleau de papier cul? Si, rendu à ça sonne, vous n’êtes pas à la porte avec la petite narratrice pour voir la tête qu’elle a, cette quatrième de papa, oubliez ça, la lecture. Essayez le parachutisme.
En effet. Si le livre est bon, on le lira, quel que soit le format. Peut-être qu’elle sera très différente, la littérature du 21e siècle, à force de changer de format, de distribution. Mais LE livre, croyez-moi, on le trouvera. Et je dirais même qu’il nous trouvera.
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